Catastrophes ! Tintoret/Bacon

Tintoret, qu’un sombre autoportrait de 1548 montre résolu, ombrageux, déterminé à bâtir une œuvre à la mesure de son ambition, ne figure pas dans la liste officielle et répertoriée des sources iconographiques de Bacon que lui-même a contribué à établir par l’intermédiaire de ses nombreux interviews, notamment avec David Sylvester. À cet égard, les noms de Michel-Ange et de Titien, souvent cités par Bacon, reviennent fréquemment sous la plume des critiques. On évoquera, pour l'un, le modelé des figures, pour l'autre ses tons roses, pourpres : toute la soierie obscure du Titien vieillissant. Curieusement, d'une filiation entre Francis Bacon et Tintoret, il n'est jamais fait mention ; Bacon lui-même n'en parle pas. Or, c'est justement la conjonction Michel-Ange/Titien chère à Bacon, que le Tintoret fixe pour toujours dans ce précepte célèbre dont Ridolfi prétend qu'il l'aurait même peint en toute lettre sur les murs de son atelier : « Le dessin de Michel-Ange et la couleur de Titien ». Ce qui pour nous va relier les deux peintres, c'est tout d'abord le projet conscient de faire subir aux formes humaines des extravagantes déformations à l'intérieur d'espaces clos afin d'impressionner le spectateur dans le but non pas de le faire participer à quelque réflexion, mais de l'impliquer dans une forme brutale du dévoilement. Or tout dévoilement entraîne une cassure, provoque un étonnement, une confusion, un désarroi : réactions diverses et incontrôlables qui furent celles du public vénitien à la vue des immenses compositions du Tintoret et qui sont encore celles d’une partie du public contemporain à l’égard de l’œuvre de Bacon.