Le handicap ou le désordre des apparences
EAN13
9782200346447
ISBN
978-2-200-34644-7
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
Nathan Université
Nombre de pages
256
Dimensions
24 x 16 cm
Poids
425 g
Langue
français
Code dewey
305.908
Fiches UNIMARC
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Le handicap ou le désordre des apparences

De

Armand Colin

Nathan Université

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Introduction?>Lors de l'un de mes cours, je fus un jour confronté à la situation suivante. Après m'être installé au bureau faisant face à une salle quasi vide, je la vis se remplir d'étudiants. Parmi les premiers arrivés se trouvait une jeune fille en fauteuil roulant et sous assistance respiratoire. Les tables étaient toutes à deux places, y compris celle où la jeune fille handicapée s'était installée. Au fur et à mesure de leur entrée, les nouveaux arrivants étaient confrontés au choix de leur emplacement : où se mettre ? Aucun ne prit l'option de venir s'asseoir à côté d'elle, y compris les derniers arrivés dont le nombre d'options possibles se réduisait. Au final, toutes les places furent occupées sauf celle jouxtant la jeune fille, choix pourtant possible car il y avait une chaise libre. La salle étant de petite dimension, le fait social ainsi construit par l'addition d'options individuelles ne pouvait échapper à aucun d'entre nous : quelle qu'en soit la raison - méfiance, gêne, discrétion, attention, tact, respect - personne ne voulut de cette proximité. Que pouvais-je faire ? Intervenir au nom de la solidarité pour critiquer cette situation me sembla inapproprié car cela aurait été, par une autorité légitime, un point de vue idéologique imposé de l'extérieur à la réalité d'un fait social s'étant « naturellement » construit. Ne rien dire était tout aussi intenable car j'aurais acquiescé à ce que je considérais comme injuste. Après quelques instants de réflexion, je fis un double choix : d'abord, pendant quelques secondes et de façon manifeste, c'est-à-dire en regardant la salle, je ne parlai pas, créant ainsi un silence pesant perçu par tous ; ensuite, toujours dans le silence, je déplaçai mon regard plusieurs fois de suite de mes notes à la sallle, en insistant sur la place restée vide. Je voulais ainsi d'une part officialiser, mais dans l'absence de jugement explicite, la trahison collective dont, à mes yeux, nous nous étions rendus coupables et d'autre part affirmer la solidarité que, dans ma position, je voulais afficher avec cette jeune fille.Les personnes handicapées sont des personnes qui sont handicapées. L'évidence de cette tautologie ne doit pas abuser. Si la déficience ne nie pas l'humanité des personnes handicapées, elle en altère toutefois les caractéristiques les plus évidentes, pour soi et pour autrui : la forme, la fonctionnalité et l'usage des corps, les capacités d'être sont autant d'aspects sur lesquels les sociétés posent aussi leur empreinte. La déficience est nature et culture mêlées. Dans ces conditions, comment faire exister des liens sociaux avec ces personnes dont je souhaite faire valoir la spécificité ? La thèse défendue ici consiste à énoncer que la déficience, expérience si particulière, situe son possesseur - et par extension ses proches, quoique de façon différente - au sein d'un espace qui n'est ni celui de l'exclusion irrévocable ni celui d'une intégration pleine et entière. Cet entre-deux peut être nommé celui de la liminarité, concept fondé par Arnold Van Gennep (1981) puis adapté par des anthropologues américains sous l'intitulé de liminalité. Mon objectif est d'expliquer comment et pourquoi les personnes déficientes sont placées en situation de liminalité.
Qu'est-ce qu'être déficient ? Qu'implique ensuite la déficience dans la construction des relations sociales ? Les rend-elle possibles ? Si oui à quelles conditions ? Et si non pour quelles raisons ? Parce que la déficience est altération du corps, elle est, par contrecoup, altération des relations sociales, modification de leurs flux et de leurs formes. Elle permet de vérifier, mais a contrario,à quel point le corps constitue un support des échanges. Dès qu'il est malmené, ces derniers sont perturbés, parfois réduits à leur plus simple expression, voire dans l'impossibilité d'exister. Le corps déficient ébranle les relations sociales, les biaise, les distord. En conséquence, les personnes déficientes ne peuvent attendre que de menus bénéfices collectifs car elles représentent une atteinte à l'ordre social. Mais comme il n'est pas possible de pratiquer un eugénisme social et symbolique systématique, nos sociétés contemporaines, pourtant solidaires de cette expérience humaine dégradée, ont organisé des politiques de la compensation visant à réinclure dans le lot commun des personnes qui en ont été isolées. La déficience est un rappel de la nature qui heurte la culture. Comprise comme traumatisme, elle implique une modification des personnes qui en sont atteintes et des relations sociales qu'elles initient.
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